Le poète meurt de soif auprès de la fontaine et aujourd'hui c'est toute une société qui meurt de soif plutôt que de boire l'eau fraiche et limpide. Car pour s'y abreuver, encore faut-il vouloir reconnaître son existence; reconnaître quelque chose qui n'est pas dans la routine de tous les jours, qui n'est pas à la mode, qui n'est pas dicté par l'opinion public, quelque chose qui échappe au diktat du pessimisme abondamment prodigué par l'environnement culturel actuel.
[Malgré la difficulté que peut constituer le français ancien, j'ai préféré retransmettre le poème tel quel en partant du point de vue que la puissance de cette forme ancienne du français est telle, que l'on peut se laisser porter par elle et en recevoir les fruits pleins de subtilité, quitte à s'y reprendre à plusieurs fois.]
[Malgré la difficulté que peut constituer le français ancien, j'ai préféré retransmettre le poème tel quel en partant du point de vue que la puissance de cette forme ancienne du français est telle, que l'on peut se laisser porter par elle et en recevoir les fruits pleins de subtilité, quitte à s'y reprendre à plusieurs fois.]
Je meurs de soif auprés de la fontaine
Je meurs de seuf auprés de la fontaine,
Chault comme feu et tremble dent a dent,
En mon pays suis en terre loingtaine,
Lez ung brasier frisonne tout ardent,
Nu comme ung ver, vestu en president,
Je riz en pleurs et attens sans espoir,
Confort reprens en triste desespoir,
Je m'esjoys et n'ay plasir aucun,
Puissant je suis sans force et sans pouoir,
Bien recueully, debouté de chascun.
Chault comme feu et tremble dent a dent,
En mon pays suis en terre loingtaine,
Lez ung brasier frisonne tout ardent,
Nu comme ung ver, vestu en president,
Je riz en pleurs et attens sans espoir,
Confort reprens en triste desespoir,
Je m'esjoys et n'ay plasir aucun,
Puissant je suis sans force et sans pouoir,
Bien recueully, debouté de chascun.
Riens ne m'est seur que la chose incertaine,
Obsucur fors ce qui est tout evident,
Doubte ne fais fors en chose certaine,
Scïence tiens a soudain accident,
Je gaigne tout et demeure perdent,
Au point du jour diz "Dieu vous doint bon soir ! ",
Gisant envers j'ay grand paeur de chëoir,
J'ay bien de quoy et si n'en ay pas ung,
Eschoicte actens et d'omme ne suis hoir,
Bien recueully, debouté de chascun.
Obsucur fors ce qui est tout evident,
Doubte ne fais fors en chose certaine,
Scïence tiens a soudain accident,
Je gaigne tout et demeure perdent,
Au point du jour diz "Dieu vous doint bon soir ! ",
Gisant envers j'ay grand paeur de chëoir,
J'ay bien de quoy et si n'en ay pas ung,
Eschoicte actens et d'omme ne suis hoir,
Bien recueully, debouté de chascun.
De rien n'ay soing, si mectz toute m'atayne
D'acquerir biens et n'y suis pretendent,
Qui mieulx me dit, c'est cil qui plus m'actaine,
Et qui plus vray, lors plus me va bourdent,
Mon ami est qui me faict entendent
D'ung cigne blanc que c'est ung corbeau noir,
Et qui me nuyst, croy qu'i m'ayde a pourvoir,
Bourde, verté, au jour d'uy m'est tout ung,
Je retiens tout, rien ne sçay concepvoir,
Bien recueully, debouté de chascun.
D'acquerir biens et n'y suis pretendent,
Qui mieulx me dit, c'est cil qui plus m'actaine,
Et qui plus vray, lors plus me va bourdent,
Mon ami est qui me faict entendent
D'ung cigne blanc que c'est ung corbeau noir,
Et qui me nuyst, croy qu'i m'ayde a pourvoir,
Bourde, verté, au jour d'uy m'est tout ung,
Je retiens tout, rien ne sçay concepvoir,
Bien recueully, debouté de chascun.
Prince clement, or vous plaise sçavoir
Que j'entens moult et n'ay sens ne sçavoir;
Parcïal suis, a toutes loys commun.
Que sais je plus ? Quoy ! les gaiges ravoir,
Bien recueully, debouté de chascun.Que j'entens moult et n'ay sens ne sçavoir;
Parcïal suis, a toutes loys commun.
Que sais je plus ? Quoy ! les gaiges ravoir,
François Villon (v. 1431- v. 1463)
