En ces temps de confrontations, d'exacerbation des tensions, de rejet de tout ce qui est "autre", où comme le ferait un enfant capricieux l'on peut désigner tel pays, tel peuple, telle culture comme "ennemie", en soutenant cette affirmation comme expression de son "être là dans le monde", retrouvons la poésie salutaire d'Alexandre Pouchkine, le grand poète de l'âme russe.
Sa verve, son humour et son empathie sont un baume au coeur.
Le page ou la quinzième année
C'est l'âge de Chérubin
Bientôt j'aurai quinze ans sonnés.Ah, vivement le jour bénioù je serai enfin un grand!Cela étant, dès aujourd'hui,nul ne se risque à me toiser.Je ne suis plus enfant -- ma lèvres'orne d'un poil qu'on peut pincer;j'ai la démarche d'un barbonet déjà ma voix se fait grosse --essayez de me bousculer!Ma modestie séduit les dames.J'en sais une, en particulier,au regard fier, mais langoureux,et ses joues ont un hâle sombrepour lequel je voudrais mourir.Elle est sévère, autoritaire,d'un esprit qui me laisse coi,jalouse comme une tigresse,hautaine envers tout un chacun,mais toute aménité pour moi.Hier soir elle a d'un air augustefait serment de m'empoisonnersi mes yeux, à droite et à gauchene cessent de papillonner.Dites: n'est-ce pas là aimer?Méprisant les rumeurs du monde,elle me suivrait au désert.Vous brûlez de savoir le nomde ma comtesse sévillane?Non, non! Je serai discret.
traduction Guy Martinez, Gallimard